Radio Albatros (Yoland SIMON) « Quelque part, une visite, avant la nuit » Théâtre de l'Alibi, 27 rue des Teinturiers, Avignon Festival Off -du 8 au 31 juillet -19 heures
■ Où est-elle? Quelque part au milieu de la nuit. De sa nuit, dirions-nous. Celle de l'oubli où se perdent tous les repères. Elle, c'est la mère. A ses côtés, une fille attentive, vigilante, constamment rabrouée, fragile et pathétique exutoire des humeurs, des jérémiades, des récriminations de la « maman », comme elle continue de l'appeler avec une tendresse obstinée. La pièce de Daniel Keene dans sa sobre beauté est une tragédie ordinaire. Celle de la maladie d'Alzheimer. Elle nous rappelle combien cette terrible affection contamine tous les proches, les victimise, mais aussi les anéantit dans cette lente mort de la mémoire qui, pour reprendre une expression de Giancarlo Ciarapica, le metteur en scène, creuse « la distance par l'absence et l'absence par la distance ». Symbolisant cette nuit qui tombe sur une vie et les pâles fulgurances des derniers souvenirs, le spectacle se joue dans une gamme variée de lumières ténues et incertaines : néons qui clignotent sur les quais de gare, lueurs vacillantes des bougies, maigres faisceaux des lampes de poche. Demeurent dans ce clair-obscur, des voix qui se cherchent, sans s'atteindre parfois. Celle de Christine Liétot, la mère, joue avec bonheur de tous les registres propres à son personnage injuste, violent, désemparé. Celle de Jason Ciarapica est une pure mélopée, l'expression « d'une âme qui souffre sans colère », eût dit Verlaine. Quelque part, une visite avant la nuit, nous fait grâce à cette première mondiale de sa version française découvrir l'oeuvre de Daniel Keene dont on commence, en France, à mesurer l'importance et qu'il faut, vous aussi, aller découvrir à l'Alibi.
Yoland SIMON 25 juillet 2009
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